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En France, les cours d’assises forment l’institution départementale jugeant les transgressions les plus graves faites à la loi. Devant elles, sont décidées les peines de ces actes, que le vocabulaire judiciaire désigne comme « crime ». A l’instar d’autres institutions françaises, les cours d’assises possèdent un univers souvent peu connu par le citoyen français.

 

Leur nom apparaît souvent dans les fictions policières, les émissions de faits-divers, au point de presque les rendre familières auprès du public. Pourtant peu de citoyens savent qu’ils peuvent chaque année être appelés à en arpenter les couloirs sur la base d’un simple tirage au sort. Le temps de quelques jours ou quelques semaines, ces personnes anonymes revêtent les habits de juge pour décider, sans haine et sans crainte, de l’avenir d’un accusé.

 

 

 

Cette fonction, est celle de juré d’assises.

Cette fonction, ils doivent entièrement l’assumer en leur âme et conscience.

Cette fonction, ils ne peuvent ni la refuser ni l’esquiver.

 

 

Quand c'est aux citoyens de rendre la justice 

 Faites entrer les jurés

Marie-Claudine : 

 

-Tirée au sort en 2006

-Travaillait alors auprès de l'Université de Lille

Irene : 

 

-Sera jurée en 2022

-Professeure des écoles à la retraite

Maître Alexande Bernard : 

-Avocat pénaliste au barreau de Metz depuis 7 ans

-Fait partie de la commission de formation des jurés auprès de la cour d'assise de Moselle

 

Maître Dominique Boh-Petit : 

-Avocat pénaliste au barreau de Metz depuis 30 ans

 

Corine :

-Tirée au sort en 1991

-Travaillait alors comme metteuse en page pour un quotidien de la presse régionale de Lorraine

Carinne : 

-Tirée au sort en 2006

-Travaillait alors dans l'immobilier

Pascal : 

-TIré au sort en 2004

-Travaillait alors comme cuisinier dans le domaine hospitalier

Présentation des jurés

Présentation des avocats

Du quotidien à la salle d'audience

Au cœur de l’audience

Sortie de la bulle judiciaire

 

Désignés par hasard

 

Être juré commence toujours par une suite de tirages au sort, dont le premier est effectué par les maires des communes. Ils tirent un nombre de jurés proportionnel par rapport à la population de leur commune en se servant des habitants inscrits sur les listes électorales de leur circonscription.

Puis c’est au tour d’une commission spéciale présente au sein de chaque cour d’assises d’effectuer un deuxième tirage. Elle vérifie que chaque individu désigné remplit bien toutes les conditions requises. Pour être retenu, il faut avoir 23 ans durant l’année où se déroulera le procès, résider dans le même département que la cour d’assises et être inscrit sur les listes électorales.

Un troisième tirage est effectué directement par les juges pour aboutir à un groupe de 35 jurés principaux, auxquels s’ajoutent dix suppléants. C’est ce groupe qui devra se présenter au tribunal au début de chaque audience.

Au même moment, chacune de ces personnes tirées au sort est plongée dans les tracas de son quotidien. Rares sont celles à s’imaginer être appelées un jour pour participer à un procès. Pourtant, le nom de cette fonction, propre aux cours d’assises, ne leur est pas inconnu car existant depuis le début de sa création en 1791.

 

 

 

Cour d’assise : un lieu méconnu

 

 

A cette époque, neuf jurés siégeaient aux côtés de trois juges professionnels pour se prononcer sur une affaire judiciaire, ou émettre un verdict selon le vocabulaire pénal. L’institution a connu plusieurs réformes majeures. La plus marquante, encore aujourd’hui, étant l’abolition de la peine de mort en 1981. La loi Guigou du 15 juin 2000 instaure la possibilité de faire appel d’une décision rendue par la cour d’assises tandis que le nombre de jurés est réduit à six en 2012.

Souvent connue par son équivalent américain diffusée dans les séries, films ou romans, les cours d’assises françaises restent méconnues du grand public. Ces fictions et autres émissions judiciaires peuvent véhiculer dans l’inconscient collectif une vision tronquée de la réalité de ces dernières plus largement sur celle de la Justice.

Au-delà de l’acte du jugement, devenir juré est avant tout un devoir du citoyen français. Le statut délivre à de très rares exceptions des dispenses. Celles et ceux tentés de refuser ou d’ignorer cet appel s’exposent à une amende de 3 750 euros.

Pour les personnes désignées, être juré c’est se confronter à cet univers inconnu, intimidant, en qualité de juge. Cette expérience qui les marquera à vie commence toujours par une surprise, provoquée par l’arrivée d’une enveloppe dans la boite aux lettres.

Des jurés en quête d’informations

 

La nouvelle arrivant bien en amont du procès laisse souvent les potentiels futurs jurés avec une foule de questions. « Mais qu’est-ce que c’est qu’être coupable ? », s’interroge Irene. L’ancienne professeure des écoles de 68 ans a déjà reçu sa convocation pour la prochaine session d’assises. Mais elle déclare avoir du mal à voir « comment équilibrer les deux plateaux de la justice ». La question est légitime car les convocations précisent bien que chaque juré est considéré au sein de la cour d’Assises comme un juge à part entière. Sa voix vaut le même poids que celle des magistrats professionnels, à savoir celles du président de la cour d’assises et de ses deux assesseurs.

Face à ces questionnements, chacun appréhende l’événement à sa manière. Marie-Claudine indique « n’avoir fait aucune recherche pour que [se] laisser découvrir ce monde inconnu À l’inverse, Irene en a parlé autour d’elle à des connaissances ainsi qu’à son mari, dont le père a été juré d’Assises dans les années 60.

La gravité des chefs d’inculpations et le caractère sordide de certaines affaires participent aussi à créer de l’appréhension. L’institutrice à la retraite a fait pour cela des recherches sur internet. « Heureusement il n’y a en a pas en rapport avec les enfants », confie-t-elle en admettant que son ancien métier aurait joué dans sa décision finale.

Pour ces non-initiés du monde judiciaire, la recherche d’informations est une étape nécessaire pour évacuer une partie du stress. Mais il arrive que certains, à l’image de Carine, jurée aux assises de Metz en 2006, développent un enthousiasme vis-à-vis de cette expérience. Travaillant alors dans l’immobilier, elle affirme avoir toujours été « curieuse de découvrir l’intérieur du fonctionnement de la Justice ».

 

Être juré c’est aussi se rendre compte de la méconnaissance du fonctionnement de la Justice. Une partie des recherches faites à ce moment concerne la structure même d’une cour d’assises, celle d’un procès et des différents termes techniques du vocabulaire judiciaire.

 

 

 

Comment s'organise une salle d'Assises ?

Les futurs jurés sont accompagnés par l’institution judiciaire dans leur découverte de cet univers. Cette dernière leur procure à chaque début de nouvelle session une demi-journée de formation qui se déroule dans la salle d’audience. Les différents professionnels de justice sont présents pour les préparer à ce qu’ils devront faire. Ils répondent aussi à leurs questions.

A l’issue de la formation, chaque juré reçoit un badge à son nom afin de justifier sa présence au tribunal pour les prochaines semaines. Il lui permet aussi de ne pas avoir à faire la queue pour entrer au sein du tribunal. Les jours d’audience, une foule composée de la famille de la victime, de l’accusé, de curieux parfois, se présentent pour assister au jugement.

Ce public peut se présenter librement à chaque audience hormis lorsque celle-ci se déroule à huis-clos. Le choix du huis-clos est décidé par le président de la cour d’assises lorsque l’affaire est susceptible de générer des heurts ; ainsi que lorsque la victime ou l’accusé est mineur. Le huis clos peut aussi être retenu sur demande de la partie civile dans le cas de crimes particulièrement violents comme un viol ou des actes de barbaries.

 

 

 

Quand arrive le Jour J

 

 

 

Après avoir été introduits dans le monde de la Justice, les jurés découvrent la cour d’assise en pleine effervescence avec le début des audiences. Mais avant que ne débute le procès en lui-même, les magistrats décident de la constitution du jury de l’affaire.

Au fond de la salle, parmi l’enceinte réservée au public, les 35 jurés et les 10 suppléants possèdent alors chacun un numéro qui sera choisi ou non à l’aveugle par la main du président de cour d’assise. Un ultime tirage au sort qui s’effectue cette fois-ci sous leurs yeux, avec comme inconnue le choix des avocats de récuser ou non les personnes désignées.

Le temps du tirage terminé, débute celui du procès. Une sonnerie stridente retentie. Dans la grande salle, l’huissier annonce : « La cour ». Puis jurés et juges entrent dans la salle d’audience et s’assoient à leurs places, au même niveau. Après autant d’incertitudes, celles et ceux qui sont présents derrières les pupitres en bois aux côtés des magistrats sentent le changement d’atmosphère.

Les faits qui leur sont présentés ont souvent de quoi impressionner. Viols, meurtres, homicides ou assassinats, braquages, vols avec violences. Les affaires sont multiples, possèdent un contexte. Des chefs d’inculpations différents. Parfois, ils possèdent des circonstances atténuantes ou aggravantes (viol en réunion, violences ayant entrainé des mutilations…) qui augmentent ou réduisent la peine qu’encourent les accusés.

A partir de maintenant et jusqu’au moment du délibéré, ils entrent dans le temps judiciaire.

 

Comprendre et poser des questions

 

 

Maïtre Dominique Boh-Petit prend l’exemple d’une des affaires retentissantes de sa carrière : le procès Francis Heaulme en 2017. Elle défendait Chantal Beining, la mère d’un des deux enfants tués à Montigny-lès-Metz en 1986. « Les affaires Heaulme c’est trois semaines de procès, ce n’est pas rien, on peut se poser des questions », se souvient-elle en rappelant la longueur du procès et la complexité de l’affaire.

L’enquête relative aux meurtres de Cyril Beining et Alexandre Beikrich a connu de nombreux rebondissements. Elle causera une erreur judiciaire avec la condamnation à tort de Patrick Dills en 1986. Pourtant à l’issue de ce dossier complexe et médiatique elle se souvient qu’à l’audience de 2017 : « pas un seul des jurés n’a posé une question en trois semaines de procès. »

Pourtant, elle se souvient aussi avoir eu un curé « en soutane et avec le col romain » qui fut tiré au sort pour une affaire de meurtre. Selon l’avocate « en trois jours de procès il a posé près de 50 questions ». Une exception car en général les interrogations fournies par papier au Président de la cour d’assise durant la totalité de l’audience se comptent sur les doigts d’une main.

Pascal se souvient de ne pas en avoir posé à cause du rythme des procès : « on est assommé par tout ce que l’on entend, on n’a pas le temps de réagir sur le coup. » Carine rappelle que les jurys sont par nature « populaire ». L’intérêt des procès d’assises est de rendre la justice par des personnes issues de la société civile. Chez ces non-initiés on retrouve souvent le même sentiment : celui de « rentrer dans une bulle. » Cette bulle il n’est pas aisé d’y rentrer et ensuite de s’y sentir à l’aise, surtout lorsque l’avenir d’une personne en dépend.

Concentration et mémoire sont des notions essentielles de l’expérience de jurés. Durant le passage des témoins et des experts, nombreux sont ceux qui retranscrivent méticuleusement les éléments à l’aide d’un stylo. Mais cette concentration n’est pas une condition sine qua non du statut de juré.

Quand le procès devient médiatique

 

 

Parmi toutes les affaires jugées, il arrive que certains jurés doivent se pencher sur des cas spéciaux. Ces procès se détachent du reste des autres par la violence des faits, ou d’autres facteurs. Mais ils le sont surtout par leur résonnement médiatique.

Michel Fourniret, Francis Heaulme, Jonathan Daval, Nordhal Lelandais. Tous ces criminels qui ont défrayé la chronique ont été jugés par un jury populaire. La couverture que les médias font de ces procès laissent indirectement la possibilité à chacune et chacun d’avoir une opinion sur l’affaire. Cependant, le verdict de toutes ces affaires a été rendu par des jurés. Des citoyens se sont confrontés aux preuves et ont entendu les témoignages afin de donner une réponse judiciaire.

Cette situation Corinne l’a vécue entre le 17 janvier et le 28 février 1991, en étant jurée pour le procès de Simone Weber. Au même moment le chanteur Vianney et le footballeur Eden Hazard voyaient le jour tandis que La guerre du Golfe débutait avec l’opération « Tempête du Désert ».

Alors metteuse en page pour un journal local de Lorraine, Corine ne s’attend pas à participer à ce procès emblématique des années 1990. L’enquête autour de deux meurtres, dont celui son ancien amant Bernard Hettier perpétré à la meuleuse à béton, aura duré cinq ans pour constituer un dossier de 18.000 pages. Durant tout ce temps la personnalité fantasque de Simone Weber et le caractère sensationnel du meurtre braquera les projecteurs sur ce dossier.

Beaucoup de documentaires, de reportages et d’articles ont été écrits sur ce procès, l’affaire ou la personnalité de l’accusée. Loin des opinions et de la théorie du café du commerce, Corine a eu la lourde tâche de traverser les six semaines du procès. Une expérience éprouvante au terme de laquelle elle a dû inscrire son intime conviction pour clore juridiquement le dossier.

Jurés : un statut en voie de disparition

 

 

La présence des jurés au sein des cours d’assises connaîtra une nouvelle réforme en 2022. Face aux critiques sur la lenteur des procédures judiciaires, une nouvelle institution verra le jour : la cour criminelle. Son fonctionnement est identique et vise à décharger les cours d’assises des crimes relevant d’une peine située entre 15 et 20 ans de réclusion criminelle.

Or son instauration fait débat à cause de la composition du jury qui aura à se prononcer sur ces affaires. Finis les jurys populaires, nécessitant trop de temps et de frais pour le ministère de la Justice. Les jugements des cours criminelles seront rendus par cinq professionnels de justice. Parmi eux, un président de cour d’assises aidé de quatre assesseurs dont deux magistrats professionnels et deux magistrats non-professionnels.

 

Sur le papier, elles doivent faire en sorte que le délai entre la mise en accusation d’un accusé et sa comparution ne dépasse six mois.

Leur présence remet en avant le débat sur l’utilité des jurés au sein de ces jugements. Les positions sont partagées. D’une part, avoir des non-initiés permet de représenter l’idée d’une justice rendue au nom du peuple français et de la société. Les enlever c’est toucher à l’une des valeurs principales de la Justice en France.

D’autre part, la lenteur de la Justice crée un vrai décalage dans le traitement des affaires. Cet écart entre le moment des faits et celui de l’audience est à l’origine de certaines longueurs durant les procès. Il n’est pas rare qu’un témoin revienne sur sa déposition en argumentant ne plus avoir les mêmes souvenirs qu’au moment des faits.

Une fois la session d’assises terminée, les jurés doivent retourner à leur quotidien. Le jour d’après est le même que celui qui précéda cette expérience. Ils retournent occuper leur place à leur poste, bureau, cuisine. Trois semaines se sont écoulées et il faut reprendre les mêmes habitudes, se lever pour aller au travail, gérer les affaires de la maison.

Pourtant l’expérience du procès reste toujours dans un coin de l’esprit. « L’affaire peut être classée mais on a toujours un film dans la tête, des photos, des flashs », indique Pascal en se remémorant le soulagement de la famille de la victime lors du rendu du verdict.

Ces souvenirs peuvent être durs et marquer profondément les jurés comme Carine qui raconte avoir mal vécue la première affaire qu’elle a jugée. « C’était un appel, se souvient-elle et l’accusé a de nouveau été condamné. » Ce qui la marque c’est « ce pauvre homme qui a perdu sa maison, son travail, sa famille » en plus d’avoir à payer d’importantes notes d’honoraires.

 

Ils peuvent même entraîner certains comportements surprenants. Lors d’un procès pour assassinat, Maître Boh-Petit se souvient d’une ancienne jurée bouleversée par les conséquences du verdict pour l’homme qui venait d’être condamné.  « Elle vient me voir, raconte-t-elle, pour me demander si elle pouvait entrer en contact avec mon client. » Ayant gardé contact avec l’homme, l’avocate raconte que de cette demande a démarré une correspondance épistolaire entre l’ancienne jurée et le condamné pendant des années. De nombreuses lettres dont elle indique n’avoir jamais eu envie de savoir la teneur mais qui montre que chaque juré vit différemment son procès et l’après procès

Les jurés savent que leur décision impliquera forcément des conséquences. La difficulté de prendre une décision est qu’ils doivent se fonder sur leur intime conviction. Un terme central dans le fonctionnement des procès d’assises indiqué dès leur formation.

Le poids du procès

 

Peu importe leur jugement la durée de la peine établie, ils devront se forger un avis. Ils auront à l’assumer seul, en leur âme et conscience. Cette solitude revient souvent dans les témoignages. Certains la ressente déjà durant le procès. D’autres peuvent continuer de l’éprouver une fois celui-ci terminé avec le secret du délibéré.

Eux seuls ont entendu quels arguments ont été avancés pour condamner ou non l’accusé. Avant que débute l’audience, ils ont prêté serment de le respecter l’anonymat de ce processus de décision. Le trahir fait encourir une peine d’un an d’emprisonnement accompagné d’une amende de 15 000 euros.

Sur ce point, Marie-Claudine ajoute « qu’il est possible de parler du temps de l’audience, lorsque celle-ci est publique ». Mais parfois il est difficile de trouver parmi son entourage des personnes réceptives. Elle ajoute : « quand je suis rentrée au travail je me suis dit que j’allais avoir pleins de questions, mais pas du tout. » Elle essaye d’en parler dans sa famille mais la situation est la même. Elle interprète cette absence de réaction : « les gens étaient bien content que ce soit moi qui y sois allé ». Constat similaire pour Pascal : « Les gens ne veulent pas rentrer dans les débats, savoir comment cela se passe ».

 

L’envie de se retrouver

ou de tourner la page

 

La rapidité des procès est souvent un frein à l’établissement de relations durables entre jurés. Pour Corinne, c’est les six semaines du procès de Simone Weber qui lui ont permises « de se rapprocher, de devenir plus forts ». Carine raconte « avoir revu au restaurant celles et ceux qui comme moi étaient passionnés par cette expérience. »

La solidarité entre jurés n’est donc pas un comportement qui va de pair avec l’expérience car celle-ci varie selon chaque individu. Cette particularité crée indirectement certaines barrières entre ceux qui ont le besoin d’en parler et d’autres qui comme Corinne souhaitent passer à autre chose. Encore marquée aujourd’hui par le procès Simone Weber, elle indique « avoir parlé de [ses] difficultés à [ses] proches, mais dans l’intimité ».

La pudeur et une certaine réserve entoure le silence de nombreux jurés pour qui ces journées au tribunal ont laissé une marque négative. Les raisons sont multiples : la dureté des crimes, avoir cédé trop facilement aux arguments d’une des parties, la longueur du procès. En attendant la prochaine session de procès où elle sera jurée, Irene avoue "c'est une expérience qui va m'apprendre beaucoup sur la nature humaine, mais dont je me serais bien passée".

Rare sont ceux qui comme Carine déclare après leur expérience n'avoir "qu'une envie, c'est d'y retourner". Encore marqué 30 ans après les six semaines de procès, Corinne considère "avoir assez donné de son temps". Elle ajoute ensuite fermement "vouloir être désormais tranquille" vis-à-vis de la Justice. Les témoignages d’anciens jurés ayant mal vécus leur passage au tribunal sont plus rare que ceux ayant gardé un souvenir bon ou neutre.

Maître Bernard rappelle « qu’il n’y a pas de suivi automatique par la justice », et que lorsque celui -ci est mis en place, il varie selon les différentes cours d’assises. Il ajoute : « La cour d’appel de Metz met à disposition un numéro pour joindre un professionnel dans le cas où les jurés auraient envie de parler de leur expérience. »

 

Douai : ville des anciens jurés

 

En France une seule association les rassemble. Située dans la région Hauts-de-France, à Douai, elle existe depuis 1969. Marie-Claudine en est la présidente. Elle l’a rejoint en 2007, soit un an après avoir été jurée. « Les membres de l’association qui contactent les jurés pour leur proposer d’intégrer l’association », indique-t-elle.

C’est de cette manière que Pascal y a adhéré, et continue d’en faire partie. Avec la soixantaine de membres, l’association des Anciens Jurés de Douai se retrouve une à deux fois par an autour d’un repas ou d’une sortie organisée par le bureau. « C’est intéressant de nous retrouver car après tout on a été sur le même bateau et cela même si c’était des années différentes », déclare-t-il.

La présence de Pascal et Marie-Claudine dans le bureau de l’association depuis toutes ces années, leur permet de trouver ces interlocuteurs pour partager leurs histoires. Les membres ont pu participer plusieurs fois à des documentaires ou des livres sur la thématique des jurés d’assises. Enfin avec le vote de la loi pour la confiance en l’instance judiciaire, elle s’est mobilisée pour revendiquer l’importance de ces jurys populaires.

 

Le devoir de citoyen

 

Être juré est une expérience marquante bien après le moment du procès. Pour Marie-Claudine ce fut même « un honneur de participer », reprenant les termes indiqués sur sa convocation.

Mais ce qui perdure à posteriori, peu importe les expériences, c’est le sentiment d’avoir réalisé convenablement son devoir de citoyen. La notion existe aussi chez ceux qui devront bientôt siéger aux assises. « On ne va pas se défiler, il faut bien que quelqu’un le fasse », lance Irene, qui devra bientôt faire partie du jury.

La peur d’avoir commis une erreur judiciaire est peu présente parmi les jurés interrogés. Face à la question du doute, Corinne se souvient « avoir attendu le dernier jour pour [se] forger mon avis ». Pour les jurés, leur verdict est un avis qui mûri durant le temps de l’audience pour ensuite se finaliser au moment des délibérés.

Prendre part aux débats leur a laissé certaines traces dans leur appréciation de la Justice. Rendre son verdict n’est pas définir le bien ou mal. Cette décision s’apparente davantage à déterminer les différentes nuances de gris qui entourent les faits.

Carine prend l’exemple de la seconde affaire qu’elle a eu à juger. La victime accusait de viol un homme alors que celui-ci était en prison au moment des faits. « Cela ouvre des horizons, dit-elle, maintenant quand j’entends qu’une fille accuse quelqu’un de viol, je sais qu’il ne faut pas aller systématiquement dans son sens. »

Au delà du simple devoir civique, être juré c'est poser un autre regard sur la justice. Celui-ci est loin des habituels avis arrêtés et conclusions toutes faites sur les affaires criminelles. Il comprends toute la différence entre "juger" et "préjuger". Le second donne le sentiment de supériorité d'avoir mieux compris qu'autrui la situation, avec pour seul risque d'avoir dénigré verbalement un inconnu. Mais le premier oblige d'entrer dans l'arène, de regarder l'accusé, et assumer devant lui un avis qui peut entraîner des conséquences à long termes.

Le staut de juré fait comprendre que rendre la justice est avant tout une affaire de responsabilité. Celui qui juge doit savoir comment il a motivé son avis. Mais pour cela pas besoin d'études prestigieuses, d'une grande culture ou bien d'un parcours de vie particulier. Il suffit d'être un citoyen français d'au moins 23 ans l'année du procès, de résider dans le même département que la cour d'assise et d'être inscrit sur les listes électorales. 

Réaliser un tel projet n’a pas pu se faire seul.  « Faites entrer les jurés » existe avant tout grâce à la qualité des témoignages. Je tiens à remercier les anciens jurés Pascal, Marie-Claudine, Carine, Corinne et la future jurée Irene pour m’avoir accordé de leur temps, mais aussi de leur sympathie à mon égard et les moments d’échanges que l’on a pu partager.

Je remercie également Maître Boh-Petit et Maître Bernard, qui en plus de répondre à mes questions m’ont conseillé pour réaliser ce projet et fait découvrir le monde particulier des cours d’assises.

Toujours dans la thématique de la découverte, j’ai une pensée particulière pour Lisa Lagrange qui grâce à ses contacts et sa connaissance du monde judiciaire m’a permis d’y faire mes premiers pas. Ne possédant aucune affinité, ni connaissances en rapport avec ce milieu, ce projet n’aurait pas eu la même finalité sans son aide.

Enfin je tiens à remercier toutes celles et ceux qui au sein du Master Journalisme et Médias Numériques m’ont permis de réaliser ce projet. Il s’agit de l’ensemble de ma promotion, dont l’aide et le soutien ont contribué à ce que ce webdocumentaire puisse paraître. Mais aussi l’ensemble de l’équipe enseignante et Jean François Diana dont les cours prodigués durant ces deux années m’ont fait acquérir les compétences indispensables à la réalisation de certains aspects de ce projet.

Arthur Hoeltzel

Remerciements :