Le poids du procès
Peu importe leur jugement la durée de la peine établie, ils devront se forger un avis. Ils auront à l’assumer seul, en leur âme et conscience. Cette solitude revient souvent dans les témoignages. Certains la ressente déjà durant le procès. D’autres peuvent continuer de l’éprouver une fois celui-ci terminé avec le secret du délibéré.
Eux seuls ont entendu quels arguments ont été avancés pour condamner ou non l’accusé. Avant que débute l’audience, ils ont prêté serment de le respecter l’anonymat de ce processus de décision. Le trahir fait encourir une peine d’un an d’emprisonnement accompagné d’une amende de 15 000 euros.
Sur ce point, Marie-Claudine ajoute « qu’il est possible de parler du temps de l’audience, lorsque celle-ci est publique ». Mais parfois il est difficile de trouver parmi son entourage des personnes réceptives. Elle ajoute : « quand je suis rentrée au travail je me suis dit que j’allais avoir pleins de questions, mais pas du tout. » Elle essaye d’en parler dans sa famille mais la situation est la même. Elle interprète cette absence de réaction : « les gens étaient bien content que ce soit moi qui y sois allé ». Constat similaire pour Pascal : « Les gens ne veulent pas rentrer dans les débats, savoir comment cela se passe ».
L’envie de se retrouver
ou de tourner la page
La rapidité des procès est souvent un frein à l’établissement de relations durables entre jurés. Pour Corinne, c’est les six semaines du procès de Simone Weber qui lui ont permises « de se rapprocher, de devenir plus forts ». Carine raconte « avoir revu au restaurant celles et ceux qui comme moi étaient passionnés par cette expérience. »
La solidarité entre jurés n’est donc pas un comportement qui va de pair avec l’expérience car celle-ci varie selon chaque individu. Cette particularité crée indirectement certaines barrières entre ceux qui ont le besoin d’en parler et d’autres qui comme Corinne souhaitent passer à autre chose. Encore marquée aujourd’hui par le procès Simone Weber, elle indique « avoir parlé de [ses] difficultés à [ses] proches, mais dans l’intimité ».
La pudeur et une certaine réserve entoure le silence de nombreux jurés pour qui ces journées au tribunal ont laissé une marque négative. Les raisons sont multiples : la dureté des crimes, avoir cédé trop facilement aux arguments d’une des parties, la longueur du procès. En attendant la prochaine session de procès où elle sera jurée, Irene avoue "c'est une expérience qui va m'apprendre beaucoup sur la nature humaine, mais dont je me serais bien passée".
Rare sont ceux qui comme Carine déclare après leur expérience n'avoir "qu'une envie, c'est d'y retourner". Encore marqué 30 ans après les six semaines de procès, Corinne considère "avoir assez donné de son temps". Elle ajoute ensuite fermement "vouloir être désormais tranquille" vis-à-vis de la Justice. Les témoignages d’anciens jurés ayant mal vécus leur passage au tribunal sont plus rare que ceux ayant gardé un souvenir bon ou neutre.
Maître Bernard rappelle « qu’il n’y a pas de suivi automatique par la justice », et que lorsque celui -ci est mis en place, il varie selon les différentes cours d’assises. Il ajoute : « La cour d’appel de Metz met à disposition un numéro pour joindre un professionnel dans le cas où les jurés auraient envie de parler de leur expérience. »
Douai : ville des anciens jurés
En France une seule association les rassemble. Située dans la région Hauts-de-France, à Douai, elle existe depuis 1969. Marie-Claudine en est la présidente. Elle l’a rejoint en 2007, soit un an après avoir été jurée. « Les membres de l’association qui contactent les jurés pour leur proposer d’intégrer l’association », indique-t-elle.
C’est de cette manière que Pascal y a adhéré, et continue d’en faire partie. Avec la soixantaine de membres, l’association des Anciens Jurés de Douai se retrouve une à deux fois par an autour d’un repas ou d’une sortie organisée par le bureau. « C’est intéressant de nous retrouver car après tout on a été sur le même bateau et cela même si c’était des années différentes », déclare-t-il.
La présence de Pascal et Marie-Claudine dans le bureau de l’association depuis toutes ces années, leur permet de trouver ces interlocuteurs pour partager leurs histoires. Les membres ont pu participer plusieurs fois à des documentaires ou des livres sur la thématique des jurés d’assises. Enfin avec le vote de la loi pour la confiance en l’instance judiciaire, elle s’est mobilisée pour revendiquer l’importance de ces jurys populaires.
Le devoir de citoyen
Être juré est une expérience marquante bien après le moment du procès. Pour Marie-Claudine ce fut même « un honneur de participer », reprenant les termes indiqués sur sa convocation.
Mais ce qui perdure à posteriori, peu importe les expériences, c’est le sentiment d’avoir réalisé convenablement son devoir de citoyen. La notion existe aussi chez ceux qui devront bientôt siéger aux assises. « On ne va pas se défiler, il faut bien que quelqu’un le fasse », lance Irene, qui devra bientôt faire partie du jury.
La peur d’avoir commis une erreur judiciaire est peu présente parmi les jurés interrogés. Face à la question du doute, Corinne se souvient « avoir attendu le dernier jour pour [se] forger mon avis ». Pour les jurés, leur verdict est un avis qui mûri durant le temps de l’audience pour ensuite se finaliser au moment des délibérés.
Prendre part aux débats leur a laissé certaines traces dans leur appréciation de la Justice. Rendre son verdict n’est pas définir le bien ou mal. Cette décision s’apparente davantage à déterminer les différentes nuances de gris qui entourent les faits.
Carine prend l’exemple de la seconde affaire qu’elle a eu à juger. La victime accusait de viol un homme alors que celui-ci était en prison au moment des faits. « Cela ouvre des horizons, dit-elle, maintenant quand j’entends qu’une fille accuse quelqu’un de viol, je sais qu’il ne faut pas aller systématiquement dans son sens. »
Au delà du simple devoir civique, être juré c'est poser un autre regard sur la justice. Celui-ci est loin des habituels avis arrêtés et conclusions toutes faites sur les affaires criminelles. Il comprends toute la différence entre "juger" et "préjuger". Le second donne le sentiment de supériorité d'avoir mieux compris qu'autrui la situation, avec pour seul risque d'avoir dénigré verbalement un inconnu. Mais le premier oblige d'entrer dans l'arène, de regarder l'accusé, et assumer devant lui un avis qui peut entraîner des conséquences à long termes.
Le staut de juré fait comprendre que rendre la justice est avant tout une affaire de responsabilité. Celui qui juge doit savoir comment il a motivé son avis. Mais pour cela pas besoin d'études prestigieuses, d'une grande culture ou bien d'un parcours de vie particulier. Il suffit d'être un citoyen français d'au moins 23 ans l'année du procès, de résider dans le même département que la cour d'assise et d'être inscrit sur les listes électorales.